Les Accents têtus

Les bottines de cérémonie

C’étaient des bottines noires, très étroites et très longues, trop longues pour des pieds de collégiens, ridiculement décorées de découpes vernies. Elles avaient été dégottées dans un placard des grands-parents où elles traînaient en attendant des cérémonies qui n’avaient plus lieu durant cette période obscure.

C’était la guerre ; se chausser était un problème difficile à résoudre pour chacun, tout particulièrement pour la mère qui devait chausser sa smala d’adolescents. Ces souliers étaient en cuir, en cuir d’avant guerre ! Quelle aubaine ! La collégienne fut chaussée d’autorité des bottines ridicules. Il n’y avait plus qu’à assumer.

Les copines compatissantes n’avaient pas fait trop de commentaires. Mais la situation s’est corsée au collège, en cours de Français lors de la récitation du poème de Victor Hugo que nous devions apprendre cette semaine-là. Le professeur exige que la récitation ait lieu sur l’estrade, ce qui n’était pas habituel.

Oh horreur !! L’élève aux souliers de cérémonie trop longs sortis du placard de son grand-père se trouve appelée, exhibée aux yeux de tous. Le regard de l’enseignante se polarise fixement sur ces pieds incongrus. Allez donc cacher vos pieds quand on est sur une estrade! La collégienne tente de les dissimuler en les superposant l’un sur l’autre, mais ces mouvements inopinés ne font que mettre en lumière le ridicule de la situation ! Plus l’élève pense à ses pieds, plus Victor Hugo s’éloigne ! Le malaise paralyse la mémoire et la voix. Elle bafouille les deux premiers vers du poème puis se tait… Elle est renvoyée à sa place avec une mauvaise note.

La collégienne pense avoir payé le tribut qu’elle devait, en raison de ses rires impertinents et indociles qui ponctuent l’ennui du cours de Français. Ah ! Si elle avait été Fred Astaire, elle aurait pu faire rire la classe en rythmant le poème des claquettes de ces escarpins vernis… Cette idée la ravit et la voilà qui sourit !

F. R.

31/07/2012