Les Accents têtus

L’Victor qui s’en va itou

Ben, en v’la enco un qui a cassé sa pipe !
Décidément, ch’t’année, après l’Fernand v’la ti pas l’Victor qui s’en va itou. Et pourtant, il’tait solide l’Victor. Je n’aurais pas cru qu’i ne passerait pas l’hiver. Avec tous les mauvais coups qu’on n’a enduré ensemble.

Tiens, quand on s’est évadés. À pia ventre dans le boué tâte poules, y nous ont pas coinchi les boches. À mitan enfouis dans la vase sous un tas de ronches, hein, la bronchite on la pas attrapée ch’jou là hein !
Et v’la que ch’t’hiver, chi doux et bi l’Victor, y s’attrape la bronchite. Et têtu comme il est l’Victor, y n’trouve pas mu que de ch’beire tchique moques en pu.

Et bi oué, on n’a pu vingt ans. J’te l’avais dit l’Victor qu’cha tournerait mal.
Comme l’Fernand, il a fait le con.

Si cha continue, qu’est-che que j’va dev’ni mé dans ch’t’affaire (larme à l’u et le regard fixe).

Ah l’cochtume commenche à m’serrer l’co.
J’y avais dit à la Germaine de ne pu m’foute d’l’amidon là d’dans. Quand j’serai mort oué, mais là, j’ai l’air de quoué, ch’peux même pas tourni l’co.

Et cha jacache, et cha jacache, j’aurais préféri parti à la cache mais ben, pauvre Victor, qu’est qu’il en penserait si j’étais pas là l’jou d’son enterrement.
Au moins trintchi un derni coup à cha chanté. Il était costaud l’Victor, malgré toutes les conneries qu’on a pu faire ensemble, ch’tait un brave type.
L’bon dieu n’va tout de même pas le léchi tchuire en enfer c’ti là.
Bon d’accord, la dynamite dans le tas de boué de la Berthe, c’n’était tout d’même pas catholique mais elle l’avait tout de même bi trachi la Thérèse. On n’vole pas le boué des gens comme cha. Cha ne s’fait pas, hein Victor.
Pi la Thérèse, elle en est pas morte, quand la bûche volée à pété, sa maison n’a pas pris feu après tout. Des tisons et de la chendre dans toute sa cuisine et la cafetière méconnaissable.
Elle a eu po Thérèse, elle n’a jamais recommenchi.
Tchi qu’on n’a pu rigoler, tout le village en a profité.
A la tienne, mon pauvre Victor !

Et cha jacache, et cha jacache, ah les bonnes femmes.
E va enco dire qu’elle a ma à la caboche la Germaine.
Pas étonnant, é n’s’arrête pas de jacachi, é m’casse les orelles !

Ben après Ferdinand et Victor ch’t’année, Lucien et Aimable l’année dernire, i n’ reste pu qu’Albert. V’la ti pas qu’il est timbé malade hier, comme par hasard. Il a toujou eu l’art de s’tirer l’tchu d’la presse, ch’ti là.
J’ai l’air de quoué, là tout seu ? J’vous le demande mé.

Ah merde alors, j’ai oublié de donner à mougi à la Sibelle. Sibelle, ma tchienne de cache. Déjà qué ne va pas bi elle non pu. C’est vrai qué n’est pu toute jeune la Sibelle. Il ne manquerait pu qué m’laque itou c’té là. Je s’rais dans de biaux draps. Surtout qu’elle est bouonne au lièvre et au faisan. Et Kiki , il est enco trop jeune pou fini la saisan.

Ah, les années passent.

Et bi la Germaine, y n’faut p’tête pu traîner.
D’main, y faut botteler, ch’est pas l’tout.
La langue, cha fait pas le boulot.
J’espère au moins que l’tracteur va bi voulé démarri. La pompe à injectian n’est pu toute jeune non pu.

Ah la Germaine, elle, la langue cha marche. cha jacache, cha jacache, t’en vi-tu ?
T’as vu l’heure ?

Bon, un dernier.
J’aurais préféri un coup de beire mais ban.
On n’va pas faire l’difficile.

Ah, la, la, la, la, la, la …
T’en vi-tu ?
Germaine ?
T’en tu ?
Hein t’la, Hein t’la co !
Germaine ?
Ah, la la la, la…

Dominique D.

L’écriture des mots et expressions en patois normand (Basse Normandie, Le cotentin) est approximative (Orthographes et Grammaire). Elle s’appuie sur mes maigres souvenirs et sur des références contradictoires et variées. En Normandie, les patois varient significativement d’un canton à l’autre. Il est donc difficile de se documenter sur la question.

30/07/2012