Les Accents têtus

Le rêve de Pablo

Ses mains étaient maculées de pigments.

Epuisé, il ne songea ni à se laver ni à monter jusqu’à sa chambre. Il se jeta sur le matelas posé à même le sol et s’endormit aussitôt.

Des éclairs.

Noir, gris, blanc.

Le ciel se déchire et des cris retentissent.

Alerta …

Pablo tremble. Il est seul sur la place du village. Il a froid. Il a peur.

Il tend l’oreille. Des pleurs. C’est un petit enfant.

Il entend un hurlement. C’est sa mère.

Il entend tout cela mais il ne voit rien.

Pourtant, il sait.

Il sait que c’est une mère qui crie son désespoir.

Bruits de bottes qui claquent dans la nuit.

Une marche martiale qui l’étreint et résonne jusque dans sa poitrine.

Tétanisé, Pablo ne bouge pas. Il scrute l’obscurité mais ne voit rien.

Il a beau ouvrir grand les yeux, rien n’y fait.

Il ne voit que du noir. Un noir absolu, intense.

Une matière épaisse, visqueuse qui l’enveloppe mais ne le protège pas.

Les hommes se rapprochent.

Pablo les sent, les ressent.

Sueur, fureur, folie meurtrière émanent de cette meute en mouvement.

Il voudrait courir, s’enfuir mais il ne peut pas.

Ses jambes refusent de bouger, il essaye mais n’y parvient pas.

Ses bras sont lourds, si lourds qu’il ne peut les soulever.

Sa tête ne commande plus. Son corps devient plomb et se fige, telle une statue, sur cette place.

Les soldats sont maintenant tout près de lui.

Etrangement, alors qu’il n’y voyait rien, il les distingue désormais clairement.

Le manteau sombre de la nuit s’est ouvert pour lui permettre de contempler cette horde qui s’avance.

D’instinct, il se raidit.

Ce n’est qu’une question de minutes pour qu’ils s’aperçoivent de sa présence, pour l’emmener, pour l’exécuter …

Pablo tente de crier. Il ouvre la bouche mais aucun son ne sort.

Il tente une nouvelle fois de bouger. 

C’est peine perdue … Résigné, il se redresse pour adopter une posture fière face à cet ennemi. Dernier fragment d’une dignité bien entamée.

Nouvel hurlement.

Un cri terrifiant qui lui vrille les tympans.

Terrifiant car Pablo n’a jamais entendu une telle plainte, un tel désespoir, une telle douleur.

Ce cri qui remplit l’espace et habille la place, est si fort, si vivant qu’il pourrait le dessiner, lui donner une forme, des couleurs, des sentiments.

Noir, gris, blanc.

Des triangles qui pointent pour blesser, meurtrissure des corps, souffrance …

Un espoir qui fuit.

Une lumière aveuglante entaille la nuit.

Ebloui, Pablo lève un bras pour se protéger. A peine, a-t-il esquissé ce geste, qu’il aperçoit un cheval fou qui fonce vers lui.

Le temps semble s’être subitement ralenti.

Malgré la vive allure du cheval, Pablo a le temps de l’observer.

La bête est blessée. Une lance perfore sa hanche. Dans ses sabots, se niche le cadavre d’un homme.

Le cheval est étrange. Il semble désarticulé. Sa tête se détache lentement de son corps et se transforme progressivement en celle d’un taureau, l’animal mythique des plaines d’Andalousie.

Le taureau se rapproche de Pablo.

Une de ses cornes heurte son front et Pablo pousse un long cri : «  No Passaran …  ».

No passaran. Pablo Picasso avait ces deux mots en tête quand il se réveilla brutalement de ce terrible cauchemar. Il se redresse pris son carnet et commença à dessiner toutes les images qu’il avait en tête.

Christèle

28/06/2018