Les Accents têtus

Zelda

Avant de partir, j’ai proposé à Zelda de m’accompagner au marché, son regard s’est tourné vers moi puis vers ses mains qui se sont mises à papillonner comme deux gros insectes. Elle a sauté de sa chaise en silence avant de dévaler l’escalier pour aller chercher sa doudoune orange.
Quand la porte du foyer médicalisé a claqué derrière nous, j’ai vérifié pour la troisième fois que j’avais bien les quarante centimes que m’avait laissé Moussa pour acheter la menthe.
On a descendu la rue des Bons Plants à fond de train, Zelda galopait devant moi en agitant le lacet de chaussure fluorescent qu’elle baladait partout avec elle.
Zelda zigzaguait sur le bitume en babillant. Elle m’entrainait dans sa course en me tirant par la main. Les gamins du quartier nous regardaient, curieux et médusés, quelques uns, timides, se carapataient entre deux voitures, les mains serrées sur leurs trottinettes.

On apercevait déjà la halle à l’autre bout de la rue Marcel Sembat. Sur le chemin, j’ai regardé les murs couverts de graffs aux couleurs acidulées, je disais « regarde Zelda comme c’est beau », mais Zelda s’en fichait, c’est son lacet fluo qu’elle regardait et pas le drôle de clown psychédélique peint à la bombe qui grimaçait sur la porte d’un garage.
Sous le toit en tissus de la halle, on a plongé dans le brouhaha du marché. Dans la première allée, on s’est rangés un instant dans le sillage d’une jeune femme voilée qui semblait fendre la foule en tirant son caddy. Zelda clopinait en tanguant d’un pied sur l’autre, ivre du bruit et de l’agitation des chalands.
Plus loin, entre deux étals, des gamins se sont agglutinés autour d’un camelot.
« Pour un bon d’achat de 5 euros les enfants, quel pays est en forme de botte ?, je répète, quel pays, est en forme de botte ? »
Les gamins se regardaient, chacun interrogeant l’autre du regard, puis au bout de quelques secondes, l’un des gosses s’est décidé en levant un index comme à l’école : « Je sais moi, c’est la chaussure m’sieur ! »
Zelda faisait tournicoter son lacet sur le sol, quant un « YALLAAAH ! » tonitruant est sorti de la gorge d’une petite femme postée derrière son étal de baklavas et de cornes de gazelle. C’est à cet instant que j’ai lâché la main de Zelda et qu’elle en a profité pour se faufiler en direction de gros bacs en plastique débordant de barres chocolatées.

Je fendais la foule en me faufilant tant bien que mal, tandis que devant moi, elle traçait son chemin en bousculant joyeusement les badauds. Plus loin, coincé entre un pilier et une poussette pour jumeau, j’essayais de garder un œil sur la doudoune orange qui s’agitait devant l’étal des sucreries.
Libéré, j’attrapais enfin Zelda par le bras.
« Elle a faim cette petite ! » a lancé une femme rousse coiffée d’un bonnet péruvien.
Je commençais à sermonner Zelda quand un type au visage émacié s’est penché vers nous.
« Tiens prends le Bounty la p’tite, il est gratuit, vas-y prends ! »
Alors que je m’apprêtais à expliquer au vendeur la dimension éducative de ma réprimande, un petit cercle de curieux commençait à se former autour de nous, alors, Zelda s’est mise à hurler, puis d’un revers de la main, elle a envoyé valser les Mars et les Bounty sur les pieds de la dame au bonnet péruvien.
On a filé jusque chez le maraicher, là bas des bouquets de menthe et de coriandre s’empilaient entre les fenouils et les céleris-rave.
« 40 centimes la bottes chef, pour 1 euros t’as les trois bottes ! » m’a dit le vendeur à casquette.
Je me suis demandé combien de litres de thé, Moussa pourrait produire avec 2 bottes supplémentaires.
J’ai laissé tomber les deux pièces de 20 centimes dans la main du vendeur, quand je me suis retourné vers Zelda, la dame au bonnet péruvien était en train de lui éplucher une mandarine.
« C’est rien » a dit la dame, « c’est pour la petite, voyez comme elle a faim ! »

B.R.

06/01/2016